Bradage des terres : un danger pour le développement rural en Afrique

03/07/2020

S'il y a un problème auquel tous les africains doivent faire face aujourd'hui, c'est bien la spoliation quasi-systématique des populations de leurs terres au nom d'un libéralisme dont les retombées profitent rarement aux pays concernés. Au contraire, il faudrait voir dans la course effrénée à l'acquisition des terres par les grandes firmes du monde, une nouvelle forme de recolonisation dont les conséquences à long terme seront très préjudiciables au continent. Cette contribution ne dit nullement que les transactions sur les terres sont inopportunes, mais suggère d'en mesurer les effets sur les populations et d'encadrer les conditions d'octroi dans une optique intra et intergénérationnelle.

Il faudrait voir dans la course effrénée à l'acquisition des terres par les grandes firmes du monde, une nouvelle forme de recolonisation dont les conséquences à long terme seront très préjudiciables au continent.

Importance de la terre dans l'agriculture

Il existe un consensus en Afrique sur le fait que l'agriculture est l'une des solutions viables d'une croissance durable et inclusive. Le continent n'a pas encore accompli sa « révolution verte » et connaît un déficit alimentaire chronique. En fait, en 2011 selon la FAO, la région a dépensé plus de 30 milliards de dollars pour importer des céréales de base. Chaque dollar que le continent gagne en exportations agricoles est dépensé à près de 2 dollars en importations agricoles, principalement alimentaires. Ainsi, l'Afrique fait face à un grave problème de production alimentaire pour lequel la disponibilité des terres est essentielle.

En fait, la majeure partie de la population africaine dépend de l'agriculture; ce secteur peut donc lui procurer de la valeur ajoutée avec un énorme potentiel. L'agriculture peut également aider à l'industrialisation du continent à travers l'agrotransformation et l'agro-industrie, et peut réduire la dépendance du continent à l'égard du secteur des services, qui est le principal moteur de la croissance. Toutefois, la plus grande menace à cet essor agricole réside dans l'achat des terres africaines par des firmes internationales tournées vers l'exportation, ce qui représente l'une des plus grandes menaces à la sécurité alimentaire de notre époque.

Dans l'économie de tout pays, la terre représente un intrant dont le rôle est plus que primordial dans l'activité de production et de création de richesse. Ne pas en disposer représente donc un facteur limitant du développement dont on ne peut ignorer les conséquences. Le phénomène a des impacts beaucoup plus importants sur la vie directe des populations rurales africaines du fait, entre autres, de la faiblesse institutionnelle des États africains, mais également de toute l'opacité qui entoure les transactions. 

Un bradage massif des terres en cours

Selon Arezki et al. (2012), l'attrait de l'Afrique pour les investisseurs étrangers est directement lié à de grandes quantités de terres non cultivées susceptibles de générer une production importante. Le continent africain représente environ 60% des terres arables du monde et la plupart des pays du continent n'atteignent pas 25% de leur rendement potentiel. C'est ce qui justifie l'intérêt accru pour l'acquisition des terres africaines, en particulier par la Chine. Ce dernier pays fait face des besoins alimentaires croissants et à une rareté de ses terres fertiles. La question devient alors de savoir si l'Afrique est capable de nourrir la Chine. Pour y arriver, le continent africain devrait d'abord vivre sa propre « révolution verte » par des gains de productivité importants pour nourrir sa population, sans cesse croissante. Ensuite il devra augmenter davantage cette productivité (un second écart de productivité) pour pouvoir nourrir la Chine. Donc si la première étape n'est pas réussie, et que la dynamique de vente des terres continue, le continent risque de vivre un déficit structurel en production alimentaire de base qu'il devra combler par les importations.

Un rapport publié par l'ONG Oxfam en 2012, dénommé « Notre terre, notre vie », signale que plus de 30 % des terres du Libéria ont été attribuées sous forme de concessions d'envergure au cours de 5 années seulement, souvent avec des résultats catastrophiques pour les populations locales. D'autres pays tels que l'Éthiopie, le Sud-Soudan, la République démocratique du Congo (RDC) seraient également touchés par le phénomène qui continue à prendre de l'ampleur dans tous les pays du continent. À cette époque, la raison principale de la ruée vers les terres résidait surtout dans la hausse importante du prix des produits alimentaires à l'échelle mondiale.

Au Sénégal également, le phénomène n'est pas nouveau. Depuis le début des années 2000, d'énormes superficies ont été mises sous propriété publique avant d'être accordées à des acquéreurs étrangers et à une oligarchie d'acteurs privés (dignitaires religieux et acteurs politiques) qui occupent progressivement le secteur de l'agrobusiness. Il manque terriblement de redditions de compte sur le phénomène, et si nous n'y prenons garde plusieurs paysans risquent de vivre des lendemains difficiles. La tendance à spolier les populations locales persiste encore, engendrant un degré de paupérisation élevé dans le monde rural. Ce sont les terres les plus fertiles qui sont visées et la situation concerne toutes les localités du pays.

Conclusion

À la lumière de cette nouvelle menace du capitalisme mondial, dont les conséquences se feront sentir douloureusement quand les Africains se réveilleront, il est plus que primordial que tous les Africains (les États, la société civile et les populations) veillent au grain pour ne pas hypothéquer leur développement. Il s'agit de mettre en place des institutions crédibles qui veilleront à la transparence dans l'acquisition de terres par les grandes sociétés et qui rendront des comptes à la société. Ces institutions devraient également considérer l'ensemble des coûts d'opportunité que de telles transactions entrainent pour la société. Comme le dit sagement l'adage : « Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants ».

Bibliographie

Arezki, R., Deininger, K., & Selod, H. (2012). The global land rush. Finance and Development, 49(1), 46-48.

Oxfam (2012). « Notre terre, notre vie », page 28 p.

Ibrahima Gassama - Blogue d'analyse
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