Le rendement soutenu : une manière de gérer le capital ligneux en milieu forestier

02/05/2020

En gestion forestière, le développement durable et le rendement soutenu ont des éléments communs. Pour approcher ce concept de rendement soutenu, la majorité des définitions tendent à se focaliser sur la continuité de la croissance de la forêt, mais aussi sur une récolte permanente de la matière ligneuse (Baskerville et al., 1990). Quand ces deux idées se rejoignent, la notion de rendement soutenu est parfois définie comme une adéquation entre le taux de récolte et la croissance de la matière ligneuse (Luckert & Williamson, 2005; Walker, 1990). Toutefois, « la récolte courante n'égale pas nécessairement la croissance courante de la matière ligneuse, même si dans le long terme et en moyenne cette situation peut se produire » (Davis, 1966). 

La notion de rendement soutenu est parfois définie comme une adéquation entre le taux de récolte et la croissance de la matière ligneuse

Une pluralité de doctrines dans un concept

Le concept de rendement soutenu est devenu un élément important des politiques publiques de foresterie et de conservation. Ses défenseurs lui accordent de nombreux avantages et le positionnent comme une alternative à la liquidation des forêts quand celles-ci ne sont pas bien règlementées. Toutefois, plusieurs critiques la qualifient d'être plus politique que conceptuel (Behan, 1978). Dans cette mouvance, Duerr & Duerr (1975) placent le rendement soutenu dans la catégorie d'une profession de foi qui peut se décliner en quatre doctrines qui ont cours en milieu forestier:

  • La doctrine de la primauté du bois : le bois reste ainsi le roi des produits en milieu forestier, et tout autre produit qui viendrait de la forêt ne serait qu'un produit dérivé. Ainsi, selon cette doctrine, la matière ligneuse restera toujours une nécessité et ne pourrait avoir aucun autre substitut sérieux. Ses consommateurs sont acquis à priori; et avec le risque de pénurie, toute politique cohérente devrait assurer une gestion biologique et d'ingénierie en faisant croître plus de bois;
  • La doctrine du rendement soutenu : pour assurer l'équité intergénérationnelle, chaque génération doit maintenir le volume de bois à un niveau élevé et non déclinant. Donc le rendement soutenu est au cœur du besoin humain et du soutien à la vie;
  • La doctrine du long terme : Les évolutions qui interviennent dans la nature sont très lentes. De ce fait, la nature prend un temps assez long pour accomplir sa fonction de faire croître la matière ligneuse; la société devrait donc s'adapter à cette réalité. Il faudrait donc y freiner l'égoïsme et les intérêts privés de court terme. On y assume également que le futur ressemblera au passé;
  • La doctrine des normes absolues : La forêt est une chose vivante qui assure ses propres finalités et ses propres moyens selon les lois de la nature. Donc le bon gestionnaire de la forêt trouve ses principes directeurs à l'intérieur du milieu forestier en écoutant ce que lui dicte cet environnement.

Une forme de durabilité forte conservationniste

Dans une formulation simple, le taux de reconstitution du capital forestier doit égaler son taux d'extraction pour qu'on se situe dans une condition d'équilibre stationnaire. Cette règle, qui est la philosophie de base du rendement soutenu, correspond à de la « durabilité forte conservationniste » dans le sens où elle permet la conservation du capital naturel dans le temps.

Dans cette manière de voir les choses, l'engagement de production « à perpétuité » est important à plusieurs égards. En premier lieu, elle reflète une conviction que l'avenir ressemblera au passé, et que nos besoins futurs ressembleront à nos besoins présents. En second lieu, elle traduit aussi l'idée que la continuité et la perpétuité ont une signification symbolique importante. Toutefois, au vu d'une approche plus systémique de la durabilité, la question de la foresterie à rendement soutenu est plus restreinte que celle du développement durable. Elle contient néanmoins les deux éléments clés du développement durable (Daly, 1990a; Wiersum, 1995) : 1) elle est axée sur les besoins des personnes, et 2) elle reconnaît les limites de la capacité biophysique.

La foresterie à rendement soutenu a évolué dans le temps pour incarner une variété de significations. À travers son utilisation, les forestiers ont tenté de la façonner pour répondre aux besoins de la société. Son fondement est que nous devrions organiser la forêt et nos actions en aménagement forestier afin de nous assurer que nous serons en mesure de continuer à obtenir la ressource ligneuse que nous voulons de la forêt à perpétuité. C'est pourquoi l'aménagement forestier à rendement soutenu exige que la production annuelle de ressource ligneuse se maintienne à perpétuité. Cette manière de voir la foresterie a été historiquement justifiée par la déduction que si l'on maintient des peuplements désirés pour soutenir dans le temps l'activité de production ligneuse, les autres produits forestiers non ligneux seront également maintenus de fait (Bouthillier, 1991; Luckert,1997)

Une autre compréhension forestière de la notion de rendement soutenu repose sur l'idée que la politique d'aménagement régulera la forêt de manière à ce que l'on tende vers une structure normale (Bergeron, 2007), et cette dernière se matérialise par un équilibre entre différentes classes d'âge (Walker, 1990). Cela implique que des règles précises soient mises dans les plans de gestion afin qu'un niveau de récolte maximum puisse être déterminé sans pouvoir altérer les structures d'âge et sans pouvoir entraîner des ruptures de stock de la matière première (Baskerville, 1990). Ces règles préciseront également comment la forêt doit être menée à un équilibre stationnaire du développement et organisée pour une localisation géographique de la production future. L'égalité des productions annuelles et leur maintien à perpétuité sont une règle qui traduit ces réalités, mais elle est loin d'être suffisante.

Bibliographie

Baskerville, G. L. (1990). Canadian Sustained Yield Management - Expectations and Realities. The Forestry Chronicle, 66(1), 25-28.

Behan, R. W. (1978). Political popularity and conceptual nonsense: The strange case of sustained yield forestry. Environmental Law, 8, 309-342.

Bouthillier, L. (1991). Le concept de rendement soutenu en foresterie dans un contexte nord-américain. Université de Laval, Québec.

Daly, H. E. (1990a). Toward some operational principles of sustainable development. Ecological Economics, 2(1), 1-6.

Duerr, W. A., & Duerr, J. B. (1975). The Role of Faith in Forest Resource Management In F. Ramsey & W. A. Duerr (Eds.), Social Sciences in Forestry: a Book of Readings. Philadelphia: W.B. Saunders Co.

Luckert, M. K., & Williamson, T. (2005). Should sustained yield be part of sustainable forest management? Canadian Journal of Forest Research, 35(2), 356-364.

Luckert, M. K. (1997). Towards a tenure policy framework for sustainable forest management in Canada. Forestry chronicle., 73(2), 211-215.

Haley, D. (1966b). An Economic Appraisal of Sustained Yield Forest Management. The Forestry Chronicle, 42(2).

Walker, J. L. (1990). Traditional Sustained Yield Management: Problems and Alternatives. The Forestry Chronicle, 66(1).

Wiersum, K. F. (1995). 200 Years of Sustainability in Forestry: Lessons from History. Environmental Management, 19(3), 321-329.

Ibrahima Gassama - Blogue d'analyse
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