Pour un changement de paradigme économique : à la découverte de l’économie verte

02/05/2020

Les nombreuses limites de l'économie contemporaine ont attiré une attention de plus en plus grandissante des populations de la planète sur les défauts structurels du modèle et des hypothèses de l'économie actuelle. Alors que les économies se donnent la priorité d'avoir une croissance élevée, de nouvelles réflexions examinent de plus près le concept d'une « économie verte », qui favorise simultanément le développement durable et la croissance économique. Dans ce sillage, il devient important de bien maîtriser les déterminants de cette forme d'économie et la manière de la construire dans le contexte actuel.

Les caractéristiques d'une économie verte

Une économie verte peut être considérée comme une vision alternative à la logique de la croissance, au sens classique du terme. Ainsi, l'économie verte a le potentiel de générer la croissance tout en améliorant la qualité de vie des populations d'une manière compatible au développement durable. Dans cette dynamique, l'économie verte favorise une triple performance dont la finalité est de faire progresser le bien-être économique, social et environnemental.

Le modèle de croissance économique actuel est basé sur l'augmentation du produit intérieur brut comme une finalité objective de toute politique économique. Bien que ce modèle économique ait amélioré les revenus dans certains pays, il s'accompagne de coûts sociaux et environnementaux, et dans bien des cas, ces coûts se maintiennent de manière irréversible. Selon la Banque Mondiale, près de la moitié de la population mondiale, soit 3,4 milliards d'individus vivent avec moins de 5,5 $ par jour. Ces populations restent confrontées à de grandes difficultés pour satisfaire leurs besoins élémentaires. Au même moment, selon les Nations Unies, environ 1 million d'espèces animales et végétales sont aujourd'hui menacées d'extinction, et cette situation est constatée en quelques décennies seulement, un constat sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Également, plus de 40% des espèces d'amphibiens, près de 33% des coraux formant des récifs et plus d'un tiers de tous les mammifères marins sont menacés.

La persistance de la pauvreté et de la dégradation de l'environnement sont attribuables à une série d'imperfections du marché et des institutions qui rendent le modèle économique en vigueur beaucoup moins efficace. Par ailleurs, cette situation ne milite pas en faveur de la cause du développement durable. De manière générale, les défaillances de marché et des institutions sont bien connues des économistes, mais peu de progrès ont été accomplis pour y remédier. Par exemple, les mécanismes de régulation du climat sont insuffisants pour garantir que les pollueurs paient le coût total de leur pollution. Tout ceci signifie que les marchés ne tiennent pas suffisamment compte de la valeur intrinsèque des services fournis par la nature, comme la régulation du climat, la purification des eaux ou la protection des zones côtières.

C'est à l'ensemble de ces problèmes que l'économie verte tente de remédier par le biais de diverses réformes institutionnelles et économiques. 

Selon les Nations Unies, environ 1 million d'espèces animales et végétales sont aujourd'hui menacées d'extinction, et cette situation est constatée en quelques décennies seulement, un constat sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Également, plus de 40% des espèces d'amphibiens, près de 33% des coraux formant des récifs et plus d'un tiers de tous les mammifères marins sont menacés.

Comment les États implantent-ils le concept d'économie verte ?

La transition vers une économie verte a encore un long chemin à parcourir, mais plusieurs pays font preuve de leadership en adoptant des stratégies économiques nationales de croissance verte ou sobre en carbone. Dans ce sillage, il existe de nombreux exemples de programmes nationaux qui augmentent la croissance ou la productivité de manière durable.

L'exemple de la Chine

Par exemple, en Chine, la productivité énergétique de l'économie s'est considérablement améliorée depuis 1990, plus que dans les pays de l'OCDE et du BRIIS au cours de la même période. Ce pays est devenu le plus grand investisseur mondial dans les énergies renouvelables depuis 2012, totalisant 102,9 milliards de $ en 2015, soit 36% des investissements mondiaux dans les énergies renouvelables (PNUE, 2016).

Dans ce pays, la production d'énergies renouvelables dans l'approvisionnement en énergie primaire s'est diversifiée. Par exemple, l'énergie solaire, éolienne et hydroélectrique a été multipliée par 10 au cours de la période 1990-2014. L'utilisation de l'hydroélectricité dans la production d'électricité a été multipliée par 8 au cours de la même période, tandis que l'utilisation de l'énergie solaire a connu une croissance exponentielle depuis 2010 (Linster et Yang, 2018). Le pays a récemment fixé des plafonds de consommation de charbon à 4,1 milliards de tonnes pour 2020. Dans son 13e plan quinquennal, la Chine s'est également fixé l'objectif de réduire l'intensité de sa consommation énergétique par unité de PIB et augmenter la part des énergies non fossiles à 15% d'ici 2020.

L'exemple de la Corée du Sud

Quant à la République de Corée, elle a adopté en 2008 sa Stratégie nationale « Low Carbon, Green Growth » comme sa vision du développement à moyen et long terme pour la période 2009-2050, ainsi qu'un objectif volontaire de réduire 30% des émissions de GES d'ici 2020 (Linster & Yang, 2018). Le gouvernement a également lancé le Global Green Growth Institute, qui vise à aider les pays (en particulier les pays en développement) à développer des stratégies de croissance verte.

La stratégie comprend également un plan quinquennal avec des dépenses publiques de 2% du PIB par an pour promouvoir la croissance verte. L'un des principaux instruments pour réaliser sa nouvelle vision a été la mise en place d'un système national d'échange sur les droits d'émission en 2015. Le développement de ce système d'échange ainsi que la mise en œuvre de la stratégie ont eu des impacts notables non seulement sur l'industrie, mais aussi sur le grand public. Il a conduit à des investissements substantiels dans les technologies vertes et à des changements d'attitude du public face à la question du changement climatique. Un grand nombre de parties prenantes sont impliquées dans le marché des permis négociables, y compris plusieurs ministères et acteurs du secteur privé.

L'exemple de l'Allemagne

Dans l'optique de se doter d'une économie verte, l'Allemagne s'est lancée sur une stratégie pour transformer son système énergétique en « énergie verte ». Les objectifs généraux de cette transformation résident dans réduction des émissions de gaz à effet de serre ainsi que dans la baisse du niveau élevé de dépendance à l'importation d'énergie. Également, dans la foulée de l'accident de Fukushima, le pays s'est engagé à éliminer progressivement l'énergie nucléaire d'ici 2022. Pour aider toutes ces ambitions, le pays a initié divers régimes de soutien financier pour réduire sa consommation d'énergie et faire de l'efficacité énergétique. La stratégie énergétique actuelle de l'Allemagne est de faire évoluer son système énergétique vers un secteur non nucléaire et sans carbone d'ici 2050 (Ringel et al., 2016). En cohérence avec cette transformation du système, le gouvernement allemand a introduit un ensemble d'objectifs ambitieux en matière d'efficacité énergétique. En premier lieu, la consommation d'énergie doit être réduite de 20% d'ici 2020 et de 50% d'ici 2050, comparativement au niveau de 2008. Au niveau européen, le gouvernement allemand s'est engagé à atteindre les objectifs de l'UE; ceci consiste à réduire 20% de sa consommation d'énergie d'ici 2020 et de 27% d'ici 2030, par rapport aux projections énergétiques de l'UE (Ringel et al., 2016). 

En quoi l'économie verte diffère-t-elle des politiques économiques classiques ?

À bien des égards, les objectifs de l'économie verte visent à créer une cohérence entre les trajectoires de croissance économique et le développement durable. Toutefois, ce nouveau paradigme répond à certaines évolutions théoriques récentes.

De nombreux gouvernements, certaines entreprises, la société civile et le public apprécient de plus en plus que nous limitions notre impact écologique sur la planète, non seulement en termes d'émissions de gaz à effet de serre, mais aussi en termes d'utilisation de ressources comme l'eau, la terre, les forêts et d'autres ressources naturelles. Le déclic vient du fait que les coûts environnementaux et sociaux de notre modèle économique actuel deviennent de plus en plus importants.

Également, l'évolution de la notion de croissance économique devrait conduire à reconsidérer les principes clés du modèle économique actuel, en particulier la relation entre l'humain et le vivant. Dans cette relation, la capacité de support des écosystèmes devrait occuper une place centrale dans les modes de production et de consommation. Cet aboutissement pourrait conduire à une croissance économique verte. Ainsi, en remettant ouvertement en question la viabilité du statu quo, certaines questions deviennent cruciales à régler :

  • Les politiques et les règlements devant permettre d'identifier et de gérer plus efficacement d'autres formes de risques extrafinanciers;
  • De nouvelles industries et de nouveaux marchés pouvant créer de bons emplois à long terme dans de nouvelles filières innovantes de l'économie verte;
  • Un soutien public à l'innovation verte afin de positionner les pays sur des filières compétitives et futuristes.

Ces évolutions mettent en évidence la nécessité de nouvelles sources de croissance respectueuses de l'environnement. Il s'agit par exemple, de la création d'activités dans des secteurs à forte croissance tels que l'énergie propre, le bâtiment vert, l'économie circulaire ou l'Internet des objets. Avec les nouvelles technologies, l'enjeu est de dématérialiser l'économie et réduire nos consommations de ressources.

Pour plusieurs analystes du développement durable, initier une croissance dont l'objectif est de s'arrimer au développement durable a le potentiel de changer l'économie de la planète. Dans cette réflexion, on peut analyser les investissements de la Chine, de la Corée et de l'Allemagne comme une manière de se positionner de manière concurrentielle sur les marchés d'aujourd'hui, mais également de rechercher de la compétitivité sur les marchés de demain.

Quelles sont les contraintes à l'implantation d'une économie verte?

L'une des questions récurrentes que les gens posent à l'endroit de l'économie verte est le coût supplémentaire engendré par cette forme d'économie. Dans certains pays où ce modèle est mis en œuvre, des courants de pensée s'opposent toujours à ce que certaines solutions soient appliquées, surtout quand celles-ci touchent la question de l'internalisation des coûts de pollution ou de dégradation de l'environnement. Dans ce sillage, les États-Unis ont montré leur réticence pour mettre un prix sur le carbone, même si certains États comme la Californie ont déjà mis en place un marché du carbone. Par ailleurs, certains pays en développement nourrissent des craintes que la transition vers une économie verte n'engendre de nouveaux postes de dépense et entravent leur capacité à réduire la pauvreté. Également, certains de ces pays craindront de perdre l'accès à la nouvelle technologie verte et que ce modèle devienne un prétexte pour que les pays riches érigent des barrières commerciales à leurs exportations.

De plus, avec l'avènement de l'économie verte, il faudrait s'attendre à un changement structurel dans les économies contemporaines. Ce changement se traduira par exemple par la diminution des activités liées à l'énergie fossile et le développement d'activités liées aux énergies renouvelables. Dans le secteur primaire, de nouvelles filières de la bioéconomie pourront voir le jour et diversifier ainsi les économies de rente basées sur la production ligneuse.

Malgré toutes ces craintes, lorsqu'une analyse plus poussée des coûts et des avantages de l'économie verte sera faite dans plusieurs des États, de nombreuses solutions pourront être considérées dans les choix de politiques publiques. Toutefois, il y aura toujours des choix et des compromis difficiles à faire comparativement aux politiques économiques classiques. 

Quels sont les défis et les solutions d'une transition vers une économie verte ?

Les défis de la transition

Le principal défi de l'économie verte est de savoir comment nous allons construire un système économique qui bénéficiera au bien-être de plus de personnes à long terme. Cette transition nécessitera un changement fondamental dans la réflexion sur le lien à établir entre la croissance économique et le développement, en particulier une plus grande harmonisation entre la production de biens et les nouvelles habitudes de consommation. Cette transition ne se fera pas uniquement grâce à une meilleure information sur les impacts, les risques ou une bonne analyse économique. En fin de compte, il s'agit de changements dans la gouvernance de la façon dont les grandes décisions sont prises.

Le problème majeur de l'économie verte dans le monde contemporain va surtout résider dans la résistance au changement. Les bénéficiaires et défenseurs du statu quo sont souvent surreprésentés ou ont un meilleur accès aux institutions qui gèrent les ressources naturelles et protègent l'environnement. Par exemple, dans un pays comme les États-Unis, les défenseurs de l'industrie du charbon et des énergies fossiles sont souvent bien présents dans les institutions publiques et sont prêts à amener la résistance à l'avènement de nouvelles formes d'énergie moins polluantes.

Les solutions de la transition

Dans un premier temps, il s'agit surtout d'accroître la sensibilisation du public et fournir plus d'arguments en faveur du changement. Une plus grande visibilité sur la nécessité de cette transition peut motiver les électeurs et les consommateurs. L'enjeu réside dans la l'identification de coûts accessibles, mais aussi dans le fait de rendre les avantages tangibles, à travers des indicateurs précis tels que de nouveaux emplois ou nouveaux marchés. Les gens n'adopteront pas les politiques d'économie verte parce qu'elles sont intéressantes comme éléments de sensibilisation écologique; ils le feront lorsqu'ils croiront que c'est dans leur intérêt. La transition généralisée vers une économie verte dépendra de la prise en compte ou non de l'intérêt public à long terme dans les politiques économiques d'aujourd'hui.

Du point de vue de l'analyse macroéconomique, de nouvelles recherches doivent être faites pour trouver de nouveaux indicateurs devant compléter le PIB. Ces indicateurs économiques devraient être plus diversifiés et représentatifs en se fondant sur d'autres études quantitatives et qualitatives sur le capital naturel et le bien-être.

Dans le champ de la gouvernance, le travail consistera à ouvrir les processus décisionnels du gouvernement au public et à la société civile. Cela aiderait à garantir que les politiques publiques fassent de la reddition de comptes à la population et non aux intérêts acquis et bien connectés.

Bibliographie

Linster, M., & Yang, C. (2018). China's Progress Towards Green Growth.

Jones, R. S., & Yoo, B. (2012). Achieving the "Low carbon, green growth" vision in Korea.

PNUE (2016), Global Trends in Renewable Energy Investment 2016, [https://fs-unepcentre.org/sites/default/files/publications/globaltrendsinrenewableenergyinvestment2016lowres_0. pdf.]

Ringel, M., Schlomann, B., Krail, M., & Rohde, C. (2016). Towards a green economy in Germany? The role of energy efficiency policies. Applied Energy, 179, 1293-1303.

Ibrahima Gassama - Blogue d'analyse
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