Une analyse des implications du «Brexit» pour l'Afrique

15/04/2020

Le 23 Juin 2016, les citoyens britanniques ont voté par référendum pour décider de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, communément appelé le Brexit (une fusion de Britain et exit). Ils avaient à se prononcer à la question de savoir si le Royaume-Uni devrait « rester membre de l'Union européenne » ou « quitter l'Union européenne ». Les partisans de la « sortie » ont soutenu l'idée qu'au fil des années l'Union Européenne a opéré d'énormes changements qui ont diminué le rôle souverain du Royaume-Uni et son influence mondiale. A l'inverse, les partisans du « maintien » ont défendu la thèse que faire partie d'une grande communauté européenne fournit au Royaume-Uni une plus grande influence commerciale et sécuritaire à l'échelle mondiale. Par voie de conséquence, selon cette tendance, quitter l'Union européenne aurait des conséquences économiques coûteuses aussi bien pour l'Angleterre que pour l'Union européenne et le reste du monde.

Même si on sait que le Brexit aura des conséquences économiques multiples sur l'économie mondiale, la question pour nous africains est de savoir quelles pourraient être les conséquences sur nos économies. Dans cet article, nous examinerons la question sous plusieurs angles.

L'aide au développement

Très certainement, un des plus grands impacts que l'on pourrait attendre du Brexit sur l'Afrique c'est la diminution d'une plus grande préoccupation des pays de l'Union Européenne sur les questions d'aide au développement à l'endroit des pays africains, un sujet sur lequel le Royaume-Uni était un des plus grands défenseurs du continent. Dans ce cadre, ce pays a souvent apporté un soutien accru pour le renforcement des forces de maintien de la paix africaines, l'accroissement des investissements dans l'éducation, la lutte contre le VIH / SIDA, le paludisme, la tuberculose et d'autres maladies. À titre d'exemple, le Royaume-Uni, avec plus de 580 millions de $ (soit 14,6% des contributions), est l'un des plus grands contributeurs au Fonds européen de développement à côté de l'Allemagne et la France. Donc le Brexit privera le Fonds européen de développement des ressources britanniques d'aide au développement. Toutefois, il est très probable que ces fonds soient désormais orientés vers les pays ayant une relation privilégiée avec le Royaume-Uni, comme l'Afrique du Sud, l'Angola, le Nigéria le Ghana, le Kenya, le Botswana et le Sénégal. Avec l'implication récente d'entreprises du Royaume-Uni dans l'exploration d'hydrocarbures au Sénégal et des potentiels concluants, on peut logiquement s'attendre à ce que cette relation commerciale soit renforcée. Sur un aspect plus conjoncturel, avec un engagement du Royaume-Uni à consacrer 0,7% de son PIB à l'aide publique au développement des pays pauvres, la crise économique et financière appréhendée par les marchés pourrait réduire cette contribution, en raison du Brexit.

Certains membres du Parlement britannique défenseurs de la « sortie » ont défendu l'idée que l'aide au développement serait plus efficace dans une situation où le Royaume-Uni ne ferait pas partie de l'Union Européenne. La raison invoquée est que cette aide serait plus efficace si elle est directement versée aux pays au lieu de passer par le Fonds européen de développement. 

La Grande-Bretagne a souvent apporté un soutien accru pour le renforcement des forces de maintien de la paix africaines, l'accroissement des investissements dans l'éducation, la lutte contre le VIH / SIDA, le paludisme, la tuberculose et d'autres maladies.

Le commerce bilatéral

La relation le Royaume-Uni et les pays africains ne se limite pas uniquement à l'aide au développement; elle s'étend également au commerce bilatéral entre ces deux partenaires.

On peut logiquement penser que le Brexit pourrait affecter les liens commerciaux entre le Royaume-Uni et les pays africains. En effet, la renégociation de nouveaux accords commerciaux en dehors du cadre de l'Union européenne pourrait être un processus long pouvant entraîner à court et moyen terme une diminution du volume des échanges entre les deux zones. La nouvelle donne amènera sans aucun doute le Royaume-Uni à renégocier ses accords commerciaux avec les pays africains. Même si le Royaume-Uni pourrait être amené privilégier les pays du Commonwealth, il faut noter que le fait d'avoir une concurrence des APE pourrait être bénéfique aux Africains, car ces derniers pourraient comparer les accords et se faire une idée des gains et des pertes qu'ils pourraient subir. On peut s'attendre à un effet de création de commerce pour les pays qui bénéficieraient d'un accord privilégié et un effet de destruction de commerce pour les pays moins privilégiés. Toutefois, avec les avancées de plusieurs pays africains non anglophones en termes de croissance économique, on pourrait également s'attendre à ce que l'Angleterre cherche à obtenir des accords globaux avec les Africains, de manière à concurrencer les APE. Par exemple, il faudrait noter que dans les accords signés entre l'Union Européenne et la SADC, certains pays comme le Botswana, le Lesotho, la Mozambique, la Namibie et le Swaziland devraient avoir libre accès au marché de l'Union Européenne. Toutefois, il est clair qu'avec la nouvelle donne, les Royaume-Uni tentera d'obtenir des clauses au moins équivalentes pour défendre ses marchés.

Au sein de l'Union européenne, le Royaume-Uni est l'un des plus importants partenaires commerciaux de l'Afrique à côté de l'Allemagne, la France et les Pays-Bas. Toutefois, les tendances récentes montrent que la part du commerce du Royaume-Uni dans le commerce bilatéral entre l'UE et l'Afrique diminue. Pour cette, raison, le Brexit, suivi d'une longue période de négociation des accords commerciaux, pourrait accentuer ladite baisse et affecter plusieurs économies. Par exemple, les Sud-Africains s'attendent à un impact certain sur leur PIB en raison des liens commerciaux étroits entre leur pays et le Royaume-Uni.

La subvention de l'agriculture européenne

Un autre point important qui pourrait être affecté par le Brexit porte sur les subventions agricoles de l'Union européenne. Le Royaume-Uni a très souvent critiqué les subventions que les pays européens ont mises en place et qui sont des entraves aux capacités commerciales des agriculteurs africains. La Politique agricole commune (PAC), avec son système de subvention mis en place, a des effets néfastes sur la compétitivité des agriculteurs africains. Avec plus de 60 pour cent de la population active africaine travaillant dans l'agriculture, le renforcement des subventions de l'Union européenne risque de porter un coup dur aux moyens de subsistance de la majorité des Africains. Cette politique de la PAC, qui bénéficie amplement à un pays comme la France, fera certainement l'objet de fortes pressions de la part des agriculteurs européens pour son maintien et son accroissement. Avec la nouvelle donne du Brexit, on pourrait s'attendre à ce qu'il n'y ait plus une voix forte au sein de l'Union européenne plaidant pour la sauvegarde des moyens de subsistance des agriculteurs africains.

La sécurité

La mouvance de la « sortie » a également défendu le point que le Brexit augmenterait l'assistance sécuritaire des pays africains dans un contexte où l'Europe en réduit, ne tenant pas souvent compte de l'opinion contraire du Royaume-Uni. Un exemple éloquent est la réduction de l'enveloppe de la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM) de 20% alors que le contexte sécuritaire de ce pays reste préoccupant. En termes d'intervention, le Royaume-Uni n'aura plus les mains liées par l'Union européenne pour être opérationnel sur les théâtres où des actions rapides sont requises, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et d'opérations de maintien de la paix.

Conclusion

En somme, on peut dire qu'il y a un certain nombre de canaux par lesquels le Brexit pourrait avoir des impacts sur les pays africains. Il s'agit, entre autres, de la baisse de l'aide au développement, le déséquilibre commercial et de l'efficacité des interventions sécuritaires. Même si pour le moment ces impacts sont difficiles à quantifier, on peut penser que dans le court et le moyen terme ils affecteront l'économie africaine dans un contexte de baisse du prix des matières premières pour plusieurs de nos pays.

Ibrahima Gassama - Blogue d'analyse
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