Le développement durable : une solution de compromis pour un monde plus résilient

Depuis la publication du rapport Brundtland, « Notre avenir à tous » (CMED, 1987), le concept de développement durable a acquis une popularité comme nouveau paradigme du développement, mais plusieurs incertitudes existent encore sur la manière de le rendre opérationnel. En économie, ce débat a émergé dans les années 1960 avec plusieurs tentatives de donner un contenu à la notion de développement (Perroux, 1961; Sachs, 1980). Par exemple, en foresterie, le principe de durabilité a été accepté depuis le 18e siècle (Wiersum, 1995). Dans ce domaine, les expériences de son application ont eu pour finalité de fournir une panoplie d'outils opérationnels à l'aménagiste forestier. De manière globale, dans le domaine de l'économie des ressources naturelles, une littérature abondante s'intéresse à la manière de définir « la durabilité », « le développement durable » et les concepts qui leur sont rattachés (CMED, 1987; Costanza, 1991; Pezzey, 1989).
Le concept de développement durable a acquis une popularité comme nouveau paradigme du développement, mais plusieurs incertitudes existent encore sur la manière de le rendre opérationnel .
Les approches conceptuelles de la durablité
Même s'il n'existe pas consensus autour de la signification précise de la notion de durabilité, il est toutefois admis que trois concepts fondamentaux devraient être pris en compte dans les mesures visant à atteindre le développement durable : 1) vivre dans les limites de la capacité de charge de la terre pour maintenir la vie, 2) comprendre les interconnections entre l'économie, la société et l'environnement, et 3) maintenir une distribution équitable des ressources et des opportunités pour notre génération et les générations à venir (Mensah & Castro, 2004). Au-delà de ces considérations, la dimension temporelle joue également un rôle prépondérant en matière de durabilité, car les actes posés aujourd'hui ont des impacts sur plusieurs générations (Lozano, 2008).
Une interdépendance des dimensions comme solution d'équilibre
Certaines réflexions mettent l'accent sur les interactions entre les différentes sphères de durabilité avec une intersection qui représente la zone de durabilité (Figure 1). Cette zone de durabilité est une reconnaissance des interdépendances entre l'environnement, l'économie et la société. Dans cette configuration, les dimensions de durabilité entretiennent entre elles des intégrations partielles, à l'exception de la zone de durabilité où cette intégration est complète (Lozano, 2008).

Une hiérarchisation des dimensions : la primauté de l'environnement
Une autre approche de la durabilité accorde la primauté à l'environnement comme le socle de toute activité provenant de la société et de l'économie. À ce titre, Passet (1979) précisait trois règles fondamentales de la manière dont les sphères de durabilité se tiennent : 1) si les activités économiques n'ont de sens que par rapport aux hommes, c'est dans la sphère des relations humaines et non en elles-mêmes qu'elles trouvent leur finalité : le bien-être social ne se réduit pas à une simple accumulation de biens et de services ; 2) la reproduction de chacune des sphères de durabilité passe par celle des deux autres : l'économique et l'humain ne sauraient subsister dans le temps sans la nature qui leur sert de support ; 3) les éléments de la sphère économique appartiennent à la biosphère et obéissent à ses lois, mais tous les éléments de la biosphère n'appartiennent pas à l'économique et ne se plient pas à ses régulations. Cette présentation laisse paraître que l'économie est bien inscrite dans la sphère sociale, qui elle-même appartient à la nature (Figure 2).
Cette conception du développement durable, qui s'intéresse
aux interdépendances entre les sociétés humaines et les écosystèmes dans l'espace
et dans le temps, constitue le fondement de l'économie écologique. Cette école
incarnée par des auteurs comme Daly (1990a) et Costanza (1991) s'inscrit dans la perspective
de non-dégradation de l'environnement. Elle se pose comme une voie alternative
à une industrialisation excessive qui a dégradé l'environnement mondial. Quatre
prémices de base sont considérées dans ce courant de pensée, en
l'occurrence : 1) le constat que plusieurs ressources naturelles autrefois abondantes
sont devenues rares ; 2) le fait que les niveaux de consommation dans les
pays industrialisés ne puissent être soutenables à long terme ; 3) le
respect de la règle voulant que l'exploitation des ressources ne dépasse pas la
capacité de charge des milieux ; et 4) le non-déclin du capital naturel
dans le temps.

La conservation du capital naturel comme finalité recherchée
Depuis les années 1970, on admet que les ressources et les services issus de la nature ne sont considérés comme ni abondants ni indestructibles, ni sans coût d'opportunité dans leur appropriation à finalité humaine (Boulding, 1966; Hueting, 1980; O'Connor, 1994; Passet, 1979). Cette rareté est en même temps de nature physique (Malthus) et économique (Ricardo). Le développement de l'industrialisation et les effets négatifs infligés à l'environnement ont conduit à remettre en question la durabilité intertemporelle de la croissance économique considérée par l'économie néoclassique comme un phénomène continu (S. Faucheux & O'Connor, 2002). Sur ce sujet, Daly (1990a) soulignait qu'aucune croissance économique n'est durable à long terme. Il part du postulat qu'à partir du moment où l'économie est un sous-système d'un écosystème global qui est lui-même fini, même si l'économie se développait, il ne pourrait s'inscrire dans la durabilité à long terme. De ce fait, le concept « croissance durable » devrait être rejeté, car c'est une idée qui se contredit d'elle-même. À la place, Daly propose le terme « développement durable » qui serait plus apte à traduire une évolution qualitative qui s'inscrirait dans la durée. Ainsi, il note que pendant de longues périodes des systèmes non soumis à la croissance quantitative ont connu un développement qualitatif.
Avec le développement d'un riche débat sur les fondements de la durabilité, les chercheurs se sont penchés sur les normes de durabilité à établir pour que l'exploitation du « capital naturel » n'atteigne pas son seuil d'irréversibilité. Par le terme « capital naturel », la littérature rend désormais courant de considérer les biens et les services écologiques comme des flux issus de stocks existants de « capital naturel ». En partant du fait que les systèmes environnementaux et les stocks de ressources naturelles fournissent des flux de bénéfices à la société, le concept comptable d'actif a été étendu à ces derniers. C'est ainsi que Daly (1990a) décrivait le capital naturel dans les termes qui sont les suivants :
« Le capital naturel est le stock qui produit le flux de ressources naturelles : la population de poissons dans l'océan qui génère le flux de pêche allant sur le marché; la forêt sur pied à l'origine du flux d'arbres coupés; les réserves de pétrole dans le sol dont l'exploitation fournit le flux de pétrole à la pompe ».
Quelle que soit l'approche théorique adoptée, la condition de durabilité est qu'il faudrait maintenir ces flux dans le temps (O'Connor et Faucheux, 2002). Ils sont assimilables au rendement obtenu sur le placement d'un capital financier. La balise consiste donc à consommer le gain produit par le capital sans entamer le capital lui-même. À partir du moment où le maintien des flux économiques devient une condition préalable de durabilité, la question des règles ou des critères qui pourraient signaler la mauvaise ou la bonne gestion du « capital naturel » s'avère incontournable.
Des critères de durabilité pour mieux gérer le capital naturel
Dans la réflexion sur les critères de durabilité à retenir, Daly (1990a) a largement contribué à faire rebondir le principe de « l'état stationnaire » (Steady State Economy), une doctrine selon laquelle le développement ne se limite pas à une simple accumulation de biens matériels. On pourrait alors, selon cette pensée, concevoir un modèle de développement où la finalité ne serait pas d'accroître les ressources produites dans le temps, mais de rester sur un niveau constant de production et de consommation. Ainsi, Daly (1990a) présente le développement durable à travers six principes fondamentaux :
- Maintenir le taux d'exploitation de la ressource à un niveau égal à son taux de renouvellement (principe de rendement soutenu) ;
- Garantir que le taux d'émission des déchets sera maintenu à un niveau équivalent à la capacité d'assimilation des écosystèmes dans lesquels ces déchets sont émis ;
- Maintenir intacts le capital naturel et le capital humain à leur niveau optimal ;
- Faire en sorte que les investissements dans l'exploitation des ressources non renouvelables aillent de pair avec des investissements compensatoires dans les ressources renouvelables ;
- Miser sur les technologies qui augmentent la productivité, la valeur extraite par unité de ressource, plutôt que des technologies qui augmentent l'extrant de la ressource (la croissance) ;
- Veiller à ce que la limite totale de l'échelle de production des extrants économiques s'inscrive dans la capacité de charge du milieu, en évitant la surconsommation du capital.
Sous cet éclairage, le développement durable suppose donc un équilibre entre les ressources économiques et les ressources biologiques à travers une croissance à taux constant (« steady state growth »). Dans cette perspective, le développement durable est perçu comme un équilibre dynamique qui s'articule autour du « maintien » ou de la « restauration » des ressources (Weber, 1995).
Conclusion
Cet article nous montre que plusieurs enseignements peuvent être tirés de la notion globale de la durabilité et de l'application que l'on peut en faire dans plusieurs domaines. Toutefois, les formes de durabilité théorisées par différents courants de pensée se donnent toutes comme ambition d'atteindre une meilleure performance dans l'une ou l'autre des dimensions de la durabilité, ou toutes les dimensions à la fois. La difficulté principale réside dans le défi d'englober toute la complexité multidimensionnelle des différents enjeux dans un domaine donné. De ce point de vue, les questions suivantes deviennent plus que pertinentes : la durabilité pour quoi ? La durabilité pour qui ? Ces interrogations plus personnalisées nous renvoient à tout un renouveau dans les théories portant sur le développement durable. C'est désormais, par l'approche du choix social, que les acteurs peuvent s'influencer par le dialogue et construire collectivement leurs choix pour un développement durable de leurs activités ou de leur milieu.
Bibliographie
Boulding, K. (1966). The economics of the coming spaceship earth. San Francisco: WH. Freeman: in H.E. Daly (ed.) (1973), Toward a Steady-State Economy.
CMED. (1987). Notre avenir à tous. Montréal (Québec): Les Éditions du fleuve et les Publications du Québec.
Costanza, R. E. (1991). Ecological Economics: The Science and Management of Sustainability. New York, NY: Columbia University Press.
Daly, H. E. (1990a). Toward some operational principles of sustainable development. Ecological Economics, 2(1), 1-6.
Faucheux, S., & O'Connor, M. (2002). Le capital Naturel et la demande sociale pour les biens et services environnementaux. Guyancourt (France): C3ED-Université de Versailles Saint-Quentin-En-Yvelines.
Hueting, R. (1980). New Scarcity and Economic Growth; More Welfare through Less Production? Amsterdam: Holland Publishing Company.
O'Connor, M. (1994). Complexity and coevolution : mothodology for a positive treatment of indeterminacy. Futures, 26(6), 610-615.
Passet, R. (1979). L'Économique et le vivant (2nd edition 1996 ed.). Paris (France): Petite Bibliothèque Payot, Economica.
Perroux, F. (1961). L'économie du XXe siècle Grenoble (France): Presses Universitaires de Grenoble.
Pezzey, J. (1989). Economic Analysis of Sustainable Growth and Sustainable Development. Washington, DC.: The World Bank.
Sachs, I. (1980). Stréagies de l'écodéveloppement. Paris (France): Économie et humanisme et Éditions ouvrières.
Weber, J. (1995). Gestion des ressources renouvelables : fondements théoriques d'un programme de recherche (pp. 21). Paris (France): CIRAD.
Wiersum, K. F. (1995). 200 Years of
Sustainability in Forestry: Lessons
from History. Environmental Management, 19(3),
321-329.